
đ Starlink, GAFI et souverainetĂ© numĂ©rique : le casse-tĂȘte technologique du Cameroun face aux gĂ©ants de la connectivitĂ© mondiale Par Patrice Bekada Think Tank : Thinking Digital for Africa
- lleprince72
- Jul 4
- 3 min read
đ§ Introduction : Entre modernitĂ© connectĂ©e et vulnĂ©rabilitĂ© structurelle
LâAfrique est en pleine mutation numĂ©rique. Ă mesure que les infrastructures se dĂ©ploient, de nouveaux acteurs transnationaux imposent leurs logiques, remodĂšlent les rapports de force et redĂ©finissent les frontiĂšres classiques du contrĂŽle Ă©tatique. Le Cameroun, Ă lâinstar de nombreux pays africains, fait aujourdâhui face Ă un dilemme stratĂ©gique : comment embrasser la connectivitĂ© globale sans perdre le contrĂŽle sur ses flux numĂ©riques, financiers et sĂ©curitaires ?
LâarrivĂ©e de Starlink, le service Internet satellite dâElon Musk, dans un contexte oĂč le pays est inscrit sur la liste grise du GAFI (FATF), soulĂšve une sĂ©rie de tensions entre dĂ©veloppement technologique, souverainetĂ© numĂ©rique et conformitĂ© rĂ©glementaire.
đ 1. Liste grise du GAFI : un avertissement global
Lâinscription du Cameroun sur la liste grise du GAFI implique que le pays est considĂ©rĂ© comme prĂ©sentant des dĂ©ficiences stratĂ©giques dans la lutte contre :
le blanchiment dâargent,
le financement du terrorisme,
et plus généralement la traçabilité des flux financiers.
Cela impose des engagements rigoureux et expose le pays à des restrictions bancaires, une surveillance internationale accrue, et un risque élevé pour les investisseurs étrangers.
đ°ïž 2. Starlink : une innovation technologique difficile Ă encadrer
Le modÚle Starlink repose sur un réseau de satellites en orbite basse, permettant une connectivité Internet :
à haut débit,
sans passer par les infrastructures locales,
avec des terminaux compacts, mobiles et difficiles à détecter.
Or, cette décentralisation radicale pose un défi de taille :
Comment un Ătat peut-il surveiller ou restreindre un flux numĂ©rique qui Ă©chappe Ă ses frontiĂšres, Ă ses infrastructures, et Ă ses cadres juridiques ?
Les autorités camerounaises, déjà limitées en matiÚre de capacités techniques, de cybersécurité et de régulation des TIC, peinent à imposer des conditions à un acteur aussi puissant que Starlink, qui évolue dans une logique transfrontaliÚre.
đž 3. Contexte Ă©conomique contraint : prĂȘts du FMI et arbitrages budgĂ©taires
Les rĂ©cents prĂȘts contractĂ©s auprĂšs du FMI pour plusieurs centaines de millions de dollars tĂ©moignent des fragilitĂ©s Ă©conomiques du Cameroun. Ces ressources, bien quâessentielles pour les rĂ©formes structurelles, ne permettent pas de dĂ©gager des marges suffisantes pour des investissements massifs dans :
la surveillance numérique,
la formation des experts en cybersécurité,
ou la modernisation des autorités de régulation des télécoms.
Autrement dit, pendant que les acteurs du numĂ©rique privĂ© gagnent du terrain, lâĂtat se retrouve dans une posture dĂ©fensive et rĂ©active, souvent dĂ©pendante de lâaide extĂ©rieure pour renforcer ses capacitĂ©s.
đ§ 4. Le vrai enjeu : souverainetĂ© numĂ©rique et asymĂ©tries globales
Lâaffaire Starlink au Cameroun symbolise une problĂ©matique bien plus large :
Les Ătats du Sud, pris dans une course Ă la numĂ©risation, ne maĂźtrisent ni les standards technologiques, ni les infrastructures, ni les rĂšgles du jeu.
La souverainetĂ© numĂ©rique, entendue comme la capacitĂ© dâun Ătat Ă dĂ©finir, contrĂŽler et protĂ©ger ses flux dâinformations, est aujourdâhui gravement menacĂ©e. Dans un environnement oĂč les gĂ©ants technologiques dictent les conditions dâaccĂšs Ă Internet, les Ătats risquent de devenir de simples usagers dâun systĂšme conçu ailleurs, pour dâautres intĂ©rĂȘts.
đ ïž 5. Quelles pistes pour un rééquilibrage stratĂ©gique ?
Face Ă cette situation, plusieurs actions sont envisageables :
Renforcement des capacités nationales : formation, équipements, agences spécialisées en cybersécurité.
RĂ©gulation coopĂ©rative : dĂ©veloppement de mĂ©canismes africains communs pour encadrer les services comme Starlink (via lâUnion africaine, Smart Africa, etc.).
Diplomatie technologique : négociations bilatérales avec les fournisseurs pour garantir un minimum de souveraineté (serveurs locaux, accÚs aux logs, collaboration avec les autorités locales).
DĂ©veloppement de solutions rĂ©gionales alternatives : soutien aux projets africains de connectivitĂ© et de souverainetĂ© des donnĂ©es (data centers, rĂ©seaux open sourceâŠ).
đŻ Conclusion : Vers une gouvernance numĂ©rique africaine
Le dĂ©fi que reprĂ©sente Starlink nâest pas unique au Cameroun. Il pose une question fondamentale Ă toute lâAfrique : voulons-nous ĂȘtre de simples consommateurs de technologies mondiales, ou des architectes de notre propre futur numĂ©rique ?
La rĂ©gulation ne doit pas ĂȘtre vue comme un frein Ă lâinnovation, mais comme un levier de souverainetĂ©, garantissant que les transformations numĂ©riques profitent Ă tous, sans fragiliser les institutions nationales.
Lâurgence est lĂ . Il est temps de penser une gouvernance numĂ©rique africaine forte, inclusive et souveraine.
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